28 août 2006

Ecole, révise ta copie


Le Monde, Mardi 25 juillet 2006, Silence, on privatise !, p. 2.

Pour la deuxième année consécutive, l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) a publié son palmarès des « universités hors la loi ». Une sorte de liste noire des établissements qui ne respectent pas le barème des frais d'inscription prévus par la loi pour la prochaine année universitaire: 162 euros en licence, 211 euros en master et 320 euros en doctorat. Selon le princi­pal syndicat étudiant, dont le « palmarès» n'a pas été démen­ti par le ministère de l'éducation nationale, une cinquantaine d'universités sur un total de qua­tre-vingt-une se seraient placées dans l'illégalité. La plupart du temps, les dépassements sont modestes. Il s'agit de quelques dizaines d'euros siphonnés au passage à chaque étudiant en échan­ge de prestations banales: frais de dossier, accès à la bibliothèque, possibilité d'utiliser les photoco­pieuses, etc. Mais il arrive aussi que ces frais d'ins­cription gonflent au point d'atteindre plusieurs milliers d'euros. Le cas le plus frappant est celui de l'université d'Aix-Marseille-III qui demande 3 500 euros en deuxième année de certains mas­ters. D'autres universités font payer 1000 euros l'accès aux cours de préparation d'un concours comme l'Ecole nationale de la magistrature.

Est-ce un scandale ? Les responsables universitaires ont tendance à nuancer. Lorsqu'il s'agit de petites augmentations, ils mettent en avant les nécessités de gestion. Le président de l'université de Bretagne occidentale avait fait valoir, en 2005, que c'était pour lui la seule manière « d'éviter la clochardisation » de son établissement. Yannick Vallée, premier vice-prési­dent de la Conférence des présidents d'université, renvoie la responsabilité de la situation au manque d'investisse­ment dans les universités. Lorsqu'il s'agit de sommes beaucoup plus importantes - de 400 à 3 500 euros -, le discours change. Le président d'Aix-Marseille-III, Philip­pe Tchamitchian, parle de « somme facultative». « Elle permet aux étudiants de bénéficier d'un accompagnement professionnel, sous forme d'aide à l'orientation, de participer à des ateliers sur l'emploi et d'être en contact avec des recruteurs », [...] Mais n'est-ce pas ce que tout étudiant devrait pouvoir obtenir sans contrepartie financière ? En réalité, on assiste à un double phénomène. D'abord, les révélations de l'UNEF montrent que l'université renonce progressivement à des princi­pes d'égalité que l'on croyait intangibles pour accepter des règles financières hors normes. C'est non seulement le niveau, mais aussi l'esprit qui a changé. L'université se privatise en douceur et en silence. Les études se paient au prix fort et le fait que plusieurs centaines de milliers d'étudiants bénéficient de bourses modifie peu la donne. Ensuite, au fil des années, la médiocre qualité de l'enseignement universitaire a permis, sur ses marges, la création d'un système de formation payant et prospère. La plupart des étudiants qui passent un concours s'inscrivent ainsi tout à la fois à l'université et dans un institut privé de bachotage pour réunir les meilleures chances de réussir. Aux frais d'inscriptions évoqués ci -dessus s'ajoutent donc des frais encore plus lourds.

Est-ce si grave? Non, si l'on en juge par l'absen­ce de mobilisation des universitaires. Le monde enseignant, si prompt à lutter contre un tigre de papier, comme le contrat première embauche (CPE), semble accepter le nouveau cours des cho­ses. Silence, on privatise ! Et l'on privatise d'autant plus vite que le système est obsolète, ron­gé par le corporatisme. Cet effondrement de l'inté­rieur, en dépit d'une concentration de moyens et d'hommes de qualité, fera un jour l'objet d'études dans une université remodelée. Et l'on comptera l'échec de l'université française comme l'un des plus graves revers de la V République. Mai-68 avait donné l'alerte. Personne n'a depuis entendu le tocsin.

Voir aussi : Délit d'initié culturel & Internet autodidacte