23 novembre 2005

Le grand retour de la Censure

Voilà une assertion qui en fera rire plus d'un. La censure ? Impossible ! En fin de compte, quand on y pense, cette réaction est assez prévisible. Car on associe au mot des connotations qui, aujourd'hui, n'ont plus court. Mais c'est oublier que la censure - aussi - a su évoluer avec son temps.

C'est cet exercice que je vous propose : une décomposition en trois points pour l'illustrer. Alors, allez-vous censurer cet article ?



CENSURE SOCIETALE

En guise d'introduction, je choisis la ' forme ' la plus facile à aborder. Comme l'explique très bien Bernard Werber (dans l'Encyclopédie du Savoir relatif et absolu, p. 80) :
Autrefois, afin que certaines idées jugées subversives par le pouvoir en place n'atteignent pas le grand public, une instance policière avait été instaurée : la censure d'Etat, chargée d'interdire purement et simplement la propagation des oeuvres trop subversives.

Aujourd'hui la censure a changé de visage. Ce n'est plus le manque qui agit mais l'abondance. Sous l'avalanche ininterrompue d'informations insignifiantes, plus personnes ne sait où puiser les informations intéressantes. En multipliant les chaînes de télévision, en publiant plusieurs milliers de titres de romans par an, en diffusant au kilomètre des musiques similaires, on empêche l'émergence de courants nouveaux. Ceux-ci seraient de toute façon submergés sous la masse de la production. La profusion d'insipidités identiques bloque la création originale, et même les critiques qui devraient filtrer cette masse n'ont plus le temps de tout lire, tout voir, tout écouter. Si bien qu'on en arrive à ce paradoxe : plus il y a de chaînes de télévision, de radios, de journaux, de supports médiatiques, moins il y a diversité de création. La grisaille se répand.
D'autres formes existent, comme le "délit d'initié culturel" (selon la formule employée par Jacques Attali). Tout dépend du milieu dans lequel on évolue.



CENSURE SCIENTIFIQUE

Sans faire du particulier une généralité, un autre Jacques nous dépeint, dans un titre posthume ("Ma vérité sur la mémoire de l'eau" de Jacques Benveniste), l'univers impitoyable auquel sont confrontés certains scientifiques. A savoir, une science qui a aussi son revers : son culte, ses messes (basses), ses prêtes (en blouse blanche)... et ses inquisiteurs.

Au-delà de la pertinence des hypothèses soulevées tant d'un côté que de l'autre (le "pour" est ici et le "contre" est ), ce qui nous intéresse, ce sont les commentaires à ce propos - qui sont révélateurs. Extrait au hasard :
En tant que lectrice j'ai beaucoup apprécié ce livre, en tant que scientifique j'ai hélas reconnu un "milieu" tel qu'il est et non tel que le public l'imagine en l'idéalisant. Il y a des informations très précises sur les études passionnantes qui ont été menées jusqu'au bout par un vrai chercheur, de la race de ceux qu'on assassine parce qu'ils ont eu raison trop tôt.
Au début du siècle précédent, un jeune physicien présenta des théories qui remettaient le dogme d'alors en question. Au point qu'on le traita d'hérétique... avant d'être finalement reconnu par ses pairs. Il s'appelait Albert Einstein.

"Il est plus facile de fissurer un atome que de casser un préjugé" disait Einstein en son temps... (voir ce billet ; l'Homme, ce bâtisseur de murs). Combien de souffrances pour une invention majeure ? C'est une question qu'il convient de se poser (même si la réponse n'est pas quantifiable).



CENSURE MEDIATIQUE

L'Observatoire français des médias a publié entre autre un article sur la relation qu'entretiennent les médias avec la Pub ; un sujet tabou pour les annonceurs.
[...] les (grands) médias et journaux accordent une place minime sinon inexistante à la critique de la publicité. Aussi sans être totalement surpris, moi qui suis journaliste, je déplore (malgré l’attachement que j’accorde au rôle de la presse écrite) aujourd’hui l’absence de critiques portant sur la sortie de mon ouvrage dont le but était justement de lancer le débat sur la puissance démesurée du système publicitaire, ce cinquième pouvoir qui ne dit pas son nom.

[...] Tout en présentant la diversité, les contradictions et les différentes raisons d’être des mouvements antipub, j’établis dans mon enquête une critique globale du système publicitaire en expliquant les nuisances qu’il exerce en France dans les domaines de la culture, l’information, la santé, l’environnement, l’économie, la politique, les comportements de masse... En résumé Le temps de l’antipub prend le parti d’expliquer de manière détaillée selon la méthode de l’investigation journalistique (qui a durée deux ans et demi) que la pub, qui s’est banalisée, n’a rien d’anodin et qu’il est « temps » de réagir face à son emprise.
Ces trois formes ne sont pas anodines, car elles frappent là où la transparence et l'honnêteté sont la base vitale de l'édifice. C'est sûr, la censure a encore de beaux jours devant elle...